"Lo pagel es fin,
n'a de grossièr que l'abit..."

vendredi 1 mai 2020

La Malédiction - Nouvelle de confinement -



Nouvelle

Alain Charre
Avril 2020






L’enveloppe ne contenait rien d’autre que la convocation à une assemblée générale extraordinaire. Simple oubli ? le formulaire de délégation de pouvoir n’était pas joint au courrier. « Avenir de l’espèce » : l’ordre du jour, laconique, ne manquait pas d’interroger les académiciens.

Le secrétaire pris une trique et frappa le pupitre à plusieurs reprises en exigeant le silence au sein de l’assemblée.
Les derniers murmures s’estompèrent, alors la Doyenne ouvrit la séance d’une voix solennelle :

– Chers collègues, si vous êtes ici ce soir, c’est que la situation est grave, l’avenir de notre espèce est en jeu… Le Président du Conseil m’a transmis le dernier rapport de l’Institut de la statistique relatif à la démographie et ses prévisions pour la décennie à venir sont alarmantes. En voici la conclusion :

« En absence de toute mesure de protection, la population va continuer de s’effondrer, notre espèce est en danger critique d’extinction. »

Bien sûr, dans l’immédiat, cette information ne sera pas rendue publique ; le Président attend nos propositions de solutions avant d’intervenir à la télévision.

Comme vous le savez, depuis des millions d’années, notre espèce a dû faire face à toutes sortes de fléaux. Nous ne devons notre survie qu’à la capacité d’évolution dont ont su faire preuve nos ancêtres. Aujourd’hui, un nouveau défi se présente et nous sommes rassemblés dans cette clairière pour tenter de trouver la solution qui nous sauvera… De notre réflexion viendra le salut. Vous avez la parole.

Un long silence se fit, l’assemblée des pangolins était glacée d’effroi.

On commença par évoquer les causes de la baisse démographique. Les pangolins étaient victime de la chasse. Le sabétou était son principal prédateur ; tout d’abord, il les tuait pour se nourrir. En potage ou en ragoût, sa chair était jugée savoureuse. Un critique gastronomique affirmait : « C’est braisés dans la sauce soja qu’ils ont le meilleur goût ! » Par ailleurs, les pangolins étaient chassés pour l’élaboration de divers remèdes. Les sabétous étaient persuadés que ses écailles avaient des vertus curatives ; elles étaient supposées augmenter la virilité, traiter les problèmes cardiaques, soulager les rhumatismes… enfin, sa bile était sensée améliorer la vue.

Ceci exposé, les membres de l’Académie pangoline formulèrent leurs premières propositions, afin tenter de mettre un terme à cette malédiction.

Il y a cinq millions d’années, nous avons su nous couvrir d’écailles pour nous protéger des prédateurs, évoluons une nouvelle fois, rendons notre chair infecte et les sabétous nous laisseront tranquilles…

Oui, mais ils sont capables de nous chasser juste pour nos écailles ; ils pêchent bien les requins pour leurs ailerons ; après mutilation, ils les rejettent à la mer et les laissent à l’agonie ; il faut que nous nous débarrassions aussi de nos écailles…

Ça ne résoudra pas le problème, quand ils ont une idée en tête rien ne leur résiste, ils sont capables de nous transformer en aliment pour animaux… Et de toute façon, une évolution darwinienne prendrait trop de temps, nous sommes dans l’urgence…

Les propositions fusaient de toutes parts, même les plus loufoques :

Munissons-nous du système de neutralisation des billets de banque des sabétous ; en cas de capture nous pourrions disposer d’une ampoule qui se romprait automatiquement et nous aspergerait d’encre empoisonnée…

– Un peu compliqué à mettre en œuvre et je n’ai pas envie de me transformer en schtroumpf accidentellement !

Il se faisait tard, la Doyenne proposa de reprendre la séance le lendemain, tout en suggérant aux sociétaires de réfléchir à de nouvelles propositions.

À la reprise de séance, un académicien, du nom de Mac Lavel, prit la parole :

– Chers collègues, je sais que ma proposition va heurter votre philosophie animaliste, mais compte tenu de l’urgence de la situation, je propose que nous propagions un virus chez nos prédateurs, suffisamment agressif pour les dissuader de nous approcher à l’avenir. Nous en avons conservé au Musée des sciences, qui pourraient avoir des effets chez les sabétous. Quand ils s’apercevront que nous en sommes porteurs, nous serons tranquilles pour un moment et nous aurons un peu de temps pour préparer des  moyens de protection de long terme.

La proposition entraîna un flot de réactions :

- Il n’est pas animal de transmettre sciemment une maladie à un être vivant !

– Qu’est ce que tu proposes, tu préfères te faire découper l’écaille ? Nous avons été tolérants jusqu’ici, le résultat est que nous sommes au bord de l’extinction ; ils nous prélèvent de plus en plus jeunes, avant même que nous ayons eu le temps de nous reproduire…

– Notre morale n’est pas absolue, notre nourriture se compose bien d’êtres vivants, de fourmis, de termites… même si nous ne prélevons que ce qui est indispensable pour vivre…

– Le pangolin a toujours été pacifiste et paisible, cette action serait contre nature…

– Faut-il être pacifiste au point d’accepter notre génocide sans combattre ?

– Et la morale des sabétous, parlons-en… tel Midas, ils courent après tout ce qui brille, se souciant peu de la survie des espèces, y compris de la leur… Elle est où leur morale ? Ils ne cessent de s’entretuer. Il y a 2000 ans, un de leurs guides spirituels s’est sacrifié pour leur montrer la voie de la sagesse et que s’est-il passé ? Ils sont allés jusqu’à commettre les pires crimes en son nom ; ils ont exterminé les Parfaits cathares, pourtant non-violents, allant jusqu'à déclarer Saint l’ordonnateur de l’holocauste de Montségur…

A l’issue du débat sur l’éthique, qui dura plusieurs heures, l’Académie pangoline valida la proposition Mac Lavel et désigna cinq de ses membres pour en élaborer les modalités pratiques.

Les membres désignés par l’Académie pour piloter la diffusion du virus sélectionnèrent le VXL1, dont la virulence était modérée pour l’espèce sabétoune. Ils renoncèrent à en propager un de la série VXXL, la plus dangereuse, celle qui au dire de certains universitaires, aurait été la cause de la disparition de Néandertal.

Le mode de transmission du virus aux sabétous fut l’objet d’un long débat :

– Surtout, il faut que les sabétous s’imaginent que nous sommes à l’origine de la propagation du virus…

– Infectons un négociant de pangolins, un jour de marché…

– Ma femme est cobaye dans un labo de recherche pour cosmétiques, elle pourrait introduire le virus dans la crème anti-âge   

– Non… si une bourgeoise attrape le VXL1, personne n’imaginera qu’elle a été contaminée par un pangolin ! Il vaudrait mieux que ta femme contamine un expérimentateur qui travaille sur elle…

– Le labo P4 fait aussi des expériences sur des pangolins, on pourrait infecter un chercheur…

– Oui, mais nous ne pourrons jamais accéder là-dedans, c’est Alcatraz !

– Alors, profitons des fêtes du nouvel an pour nous déguiser en dragon et contaminer un chercheur de P4 qui  assiste au défilé…
– …

Enfin, les cinq se rendirent au laboratoire de l’Académie des sciences, où le virus était conservé à très basse température, afin d’en prélever quelques ampoules.

N’i a pas pro, prends-en mieux ! Insista un pangolin originaire du plateau ardéchois, qui trouvait que les charges virales prélevées étaient insuffisantes…

Comme prévu, deux chercheurs sabétous et un négociant de pangolins furent contaminés dans la ville voisine de Vuran.

Sans attendre les premiers résultats, le Président du Conseil intervint à la télévision pour annoncer les décisions prises au sommet de l’Etat. « - Nous sommes en guerre… », ses premières paroles stupéfièrent la population. ..Statistiques et graphiques à l’appui, ponctuant son discours de « nous sommes en guerre », il s’efforça de convaincre les pangolins que des mesures drastiques devenaient absolument nécessaires. D’un autre côté, afin de ne pas heurter le sens moral de ces braves bêtes, il ne s’étendit pas sur la stratégie qui avait été décidée pour lutter contre la malédiction, il évoqua, diplomatiquement, l’utilisation de « répulsif ». En conclusion, il demanda à la population de se terrer dans les cavernes, jusqu’à ce que le plan d’action montre ses premiers effets. Il prévoyait une forte baisse de l’activité des prédateurs dans les semaines à venir et envisageait la fin du confinement pour les pangolinades du nouvel an.

Dès lors, les académiciens suivirent attentivement la réaction des sabétous. Le plan semblait fonctionner comme prévu. Dans un premier temps, ces derniers attribuèrent la pandémie à un virus transmis par les pangolins.
Alors qu’ils étaient si prompts à se déplacer d’un continent à un autre, les sabétous fermèrent subitement les frontières de leur pays, comme les moules s’encapsulent dans leur coquille. La suite fut plus confuse, certains se confinèrent dans leurs chaumières, d’autres non ; certains se protégeaient avec des masques, d’autres affirmaient qu’ils ne servaient à rien ; certains pratiquaient le dépistage à outrance, d’autres le négligeaient. Même les scientifiques se contredisaient : un affirmait que la maladie ne dépasserait pas le stade de la « grippette », l’autre que le virus avait très peu de chance de franchir la frontière ; un autre encore alertait, en affirmant que les hôpitaux allaient être débordés…

Le fait est que la pandémie progressa et leur donna bien des tourments. En absence de vaccin et de traitement efficace incontesté, une nouvelle controverse vit le jour. Ceci à propos d’un protocole de soins, mis en œuvre par un professeur à blouse blanche. Assis au comptoir des plateaux de télévision, docteurs, éditorialistes, politiques et journalistes en costume, lui tombèrent sur le paletot :

– Ses essais cliniques ne respectent pas les procédures officielles… Il faut le suspendre de l’ordre des médecins !
– Y- en a marre des gens comme lui... qu’il ferme sa gueule !

– C’est un anticonformiste de l’établissement un peu déséquilibré psychiquement…

Quelle ne fut pas la surprise des pangolins en découvrant les propos de la crème des sabétous : Un professeur de médecine et un chercheur proposèrent de tester le vaccin du BCG sur les africains ; un dirigeant suggéra de traiter les malades par injection de désinfectant ; un Prix Nobel de médecine, affirma que le corona avait été  créé dans un laboratoire avec de l’ADN de VIH ; un dirigeant, qualifiant le virus de « chinois » semblait abonder dans ce sens, un autre déclara : "… et même il y a manifestement des choses qui se sont passées qu'on ne sait pas". Toutes ces réactions alarmèrent l’Académie pangoline, qui en conclut que les sabétous étaient une espèce encore plus inquiétante qu’ils ne l’avaient imaginé. Les affirmations relatives à la création du virus au laboratoire P4 de Vuran ne manquèrent pas de les tourmenter, car elles risquaient de ruiner leur stratégie.

Bref, la cacophonie était à son comble. En fait, les sabétous découvraient peu à peu que leurs bombes atomiques ne pouvaient rien face à un modeste virus d’un dixième de micron.

***

Les pangolins reprenaient goût à la vie ; restés confinés trop longtemps dans leur tanière, ils s’empressaient de rendre visite à leurs parents, à leurs amis, tout heureux de pouvoir se déplacer sans la crainte de se faire capturer par les sabétous. Enfin, la menace était temporairement écartée. Les pangolinades de fin d’année pourraient se dérouler à loisir. La jeunesse, en liesse, envahissait les sentiers forestiers à la recherche d’une taverne. Pour en trouver une, rien de plus simple, il suffisait de se laisser guider par le son des mélodies. Une multitude de groupes de musiciens jouant de la mangoline -sorte de xylophone à écailles- interprétaient les chansons du répertoire traditionnel. Devant l’affluence, les patrons de bistro avaient installés des tables et des chaises longues aux terrasses, ainsi les pangolins pouvaient s’allonger sur le dos tout à leur aise, même en plein jour. Trois étudiants, éloignés de l’université depuis plusieurs mois, fêtaient leurs retrouvailles :

Tavernier ? Une pression, et deux diabolos menthe, s'il vous plait !

Une jeunette pangoline, vêtue de court, s’avança pour servir les boissons,

Il est giron ce petit sommelier ! fit l’un,

– Ouaaah, pendant le confinement, elle a dû se faire bronzer aux UV

Et complètement à écaille, en plus !

– Elle est bonne, elle est bonne…

 A propos de bonne…  je suis sûr que cette bonne s’occupe aussi des courses…

–  Ah, ah !

Insouciance de la jeunesse…

Les plaisanteries allaient bon train ; on évoquait les lectures du temps du confinement ; l’ouvrage de Pierre Desproges, celui qui ridiculise le pangolin en le comparant à un artichaut à l’envers, les fit beaucoup rire.

La vie sociale reprenait ; pour autant, les pangolins n’étaient pas tirés d’affaire. Les dirigeants savaient que les chasseurs s’étaient abstenus depuis quelques mois, cependant, il convenait de rester vigilant et de préparer de nouvelles parades au cas où les sabétous feraient à nouveau irruption.

Le gouvernement du Pangolistan mit en place un service de guet, afin de sonner l’alerte en cas d’introduction d’un prédateur sur le territoire. Des miradors furent construits dans les arbres et les couples de pangolins devaient s’y installer à tour de rôle pour y monter la garde. Chaque binôme était invité à emporter ses provisions pour y passer la semaine, durée de la vacation. Même si male et femelle se relayaient, l’observation aux jumelles, des heures durant, finissait par donner mal au crâne. Les miradors étaient exigus et d’un confort spartiate, la lecture constituait la seule possibilité de détente. Quelques livres garnissaient la minuscule bibliothèque située à portée du hamac ; parmi eux, deux ouvrages traduits du sabétou : La Vachère et La Citée des fous.

Toutes ces contraintes faisaient, que parfois, les nerfs lâchaient et on a pu assister à de véritables scènes de ménage pour de simples broutilles.

Line était en faction quand son compagnon, Pango, commença son repas :

- Line, où as-tu mis le sel ?

- Je sais pas moi, j’en prends jamais, t’as qu’à le chercher…

- J’ai tout retourné, je ne vois rien…

Line, agacée, interrompit son observation et se rendit près de la glacière en disant :

- Toi, tu ne trouves jamais rien !

Confuse, Line dut se rendre à l’évidence, elle avait oublié le sel…

- Bah ! J’ai dû le laisser au terrier…

- Des fourmis, des fourmis, toujours des fourmis, y-en à mare ! Et sans sel en plus…

- Ecoute, Pango, si la semaine dernière, au lieu de glander devant la télé tu étais allé à la chasse aux termites, on aurait un régime un peu plus varié…

- Tu commences à me casser l’écaille, j’ai bien le droit de me distraire un peu !

Line, compris que la situation commençait à partir en vrille, son bon sens pangolin lui commanda de calmer le jeu. Elle présenta ses excuses à Pango, puis, encore toute déboussolée par cette regrettable altercation, elle murmura, comme pour elle-même : "Mais où sont passées les jumelles ?" »

FIN
AC
Avril 2020





Pendant le confinement…
L'Arbre vagabond lance un concours de nouvelles. Si cette idée vous tente, la première phrase de votre nouvelle doit être : L'enveloppe ne contenait rien d'autre. Quelque part, dans le cours du texte, on doit trouver : "Une pression, et deux diabolos menthe, s'il vous plait !" Enfin la dernière phrase de votre nouvelle doit être : Elle murmura, comme pour elle-même : "Mais où sont passées les jumelles ?"
Bar à vin et table gourmande, 43400 Le Chambon-sur-Lignon.





Du même auteur

Paroles de pagels – Patois du pays des sources de la Loire, auto-édition, 2014.
Aimé Grasset – Pionnier de l’aviation. Du mont Mézenc aux monts de Bohême, auto-édition, 2017.
Trois Dewoitine dans le ciel du Béage 19 juin 1940, auto-édition, 2018.
La Vachèira, édition en occitan, Nombre7 Editions, 2020.
La Vachère, édition en français, Nombre7 Editions, 2020.




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