N°1.
La foire aux violettes de Sainte-Eulalie dans les
années 1930
Cette foire a lieu à Sainte-Eulalie le dimanche qui suit le 12 juillet ; mais si durant des siècles elle portait bien son nom, aujourd’hui les violettes séchées ne s’échangent plus dans les rues du village et c’est probablement pour cela que l’on ne dit plus foire aux violettes mais fête des violettes… Sa vocation première a laissé place à plusieurs animations proposées aux visiteurs. De nombreux commerçants et producteurs locaux présentent leurs produits, un concours de boules est organisé dans l’après-midi et le soir un bal-concert clôture la journée. Mais que fût cette foire par le passé ? La plume de C. Liénard, grisée par l’air de la Montagne, nous en donne un aperçu :
«
Sur les vastes plateaux ardéchois se tient chaque
année la foire aux violettes de Sainte-Eulalie
Jadis les femmes venaient y
vendre leurs cheveux
La foire aux violettes. On dirait
un titre de légende ou de conte de fées. Et l’on imagine aussitôt un marché de
féeries, où les violettes viendraient se vendre, multipliant les senteurs dans
l’air embaumé. Si l’on reste dans le plan pratique, on situe alors cette
réunion imprévue à Grasse, à Nice, à Parme, dans une de ces contrées où la
nature, en un jour de prodigalité, a réuni ce qu’elle a fait de plus
beau : la lumière et les fleurs, avec la mer pas très loin. Ce n’est pas
là qu’il faut chercher, pourtant, la foire aux violettes, la vraie, celle qui
se tient le dimanche après le 14 juillet SUR LES HAUTS PLATEAUX ARDECHOIS.
Il faut atteindre les hauts
plateaux ardéchois. C'est-à-dire quitter la vallée du Rhône et ses courbes
harmonieuses comme des gestes de femmes, délaisser encore celle de l’Eyrieux aux
pêchers feuillus, qui forment un lac vert au creux des molles collines. Il faut
monter, monter encore dans un décor qui se fait austère, au milieu d’une nature
où la culture devient rare et rare aussi la vie humaine. Entre les genêts, des
prairies, qu’on dirait larges comme la main, forment des îlots, où les vaches
se groupent par deux ou trois, en se serrant. La roche noire apparaît de tous
côtés en éboulis d’apocalypse au milieu desquels la route serpente, jalonnée
par les chiens de berger, poursuivant le rêve éternel et jamais satisfait de
mordre un jour les pneus d’automobiles.
On aborde ainsi Mézilhac et ses
maisons couleur d’encre, son église noire vers laquelle se hâtent les
estivants, relevant le col de leur pardessus. Lachamp-Raphaël qui sent la
chaude odeur des étables, Sainte-Eulalie enfin, où se tient la foire aux
violettes.
Mais on a pu cependant s’exalter
devant un ample panorama. De ce plateau, cœur de la montagne ardéchoise (un
cœur haut placé, qui a obéi à l’éternelle devise) on aperçoit à l’Est les
Alpes, qu’on appelle « les montagnes du matin » entourées de brume,
irréelles et lointaines, comme des illusions. Plus prés, surgissent les
Cévennes, le Mézenc qui semble le dos d’une bête couchée, le Gerbier des Joncs
aux lignes si nettes qu’on le croirait dessiné d’un seul trait par un enfant,
sur un papier azur : « - ça c’est une montagne »
A côté de ces deux sommets, chefs
de file, poussent de tous côtés, des sucs et des pics en forme de pain de
sucre, de fromages ou de meule auxquels les toits de chaume noircis, font une
réplique à petite échelle.
Sainte-Eulalie, elle, peut s’enorgueillir
de compter le plus de tuiles neuves. Elles jettent leur cri rouge dans les prés
verts. Mais autre chose crie dans le petit village. Dès le matin, la foire y a
installé ses éventaires, ses camelots,
ses « occasions ». Jusque ici il n’y a rien de bien imprévu et le
marchand de cordes qui se dit Auvergnat est classique jusque dans ses
calembours. La foire aux violettes ne commence qu’à midi. C’est à cette heure
là en effet, que les herboristes arrivent à Sainte-Eulalie, venant de Langogne,
Le Puy, Saint-Etienne, Valence, Grenoble, Lyon, pour acheter les fleurs
médicinales — et la violette singulièrement — cueillies et séchées par les
paysannes des hauts plateaux.
UN GRAND RALLIEMENT
Le spectacle débute plus tôt, cependant,
pour peu que l’on quitte le village et qu’on batte les petits chemins. De tous
côtés, du Béage, de Lachamp-Raphaël, des Sagnes-et-Goudoulet, d’Usclades, des
Jallades, comme aussi du Cros-de-Géorand et même des Estables, les montagnards
convergent vers Sainte-Eulalie. On les voit, coupant à travers champs,
franchissant la Loire à gué, empruntant les raccourcis, portant tous des sacs
de toile. Des sacs bleus, noirs, blancs, bien remplis, ronds comme des
traversins légers, malgré leur volume. On rencontre même sur la route du Béage
un groupe qui l’emporte en pittoresque. C’est une grand-mère juchée sur un
alezan qu’un homme jeune tient par la bride. La croupe du cheval disparaît sous
les sacs remplis de fleurs séchées. La vieille dame trône au milieu. Des femmes
solitaires, des enfants portant sur l’épaule un faix plus gros qu’eux, des
groupes de familles ou de hameaux entiers accomplissant un grand ralliement. A
Midi, dans les rues étroites de Sainte-Eulalie, c’est un compact et bruyant coude à coude.
Ce qui frappe dans cette foule,
c’est le nombre de femmes ayant conservé le costume régional : longue robe
noire, foulard de soie sur les épaules, bonnet rond enserrant tous les cheveux
et qu’entoure un ruban noir. Celui-ci forme au milieu du front un nœud maintenu
par une broche, et les deux bouts s’envoient de chaque côté de la tête, comme
les ailes du chapeau de Mercure. Ce sont surtout les vieilles ardéchoises qui
sont ainsi restées fidèles au vêtement de jadis, mais quelques femmes de
quarante ans l’arborent encore avec grâce.
UNE TONNE DE FLEURS SĖCHĖES
De place en place, des sortes de
potences en bois sont dressées. Au crochet qui les termine une balance romaine
est suspendue. Carnet en main, les acheteurs interpellent les paysannes :
— Envoyez le sac, allons
pressons !
Il faut cette autorité pour que la réserve montagnarde ne
ralentisse pas la transaction , mais une fois l’affaire engagée, le vendeur ou la vendeuse
se met à discuter âprement. Cette année les marchés ont étés particulièrement
ardus pour de multiples causes.
Les fleurs,
dont on tient la bourse une fois l’an à Sainte-Eulalie, sont cueillies au
printemps. C’est après un mois, au moins, de séchage qu’elles sont amenées à la
foire. On ramasse ainsi la violete, qui figure parmi les quatre fleurs
pectorales, avec la mauve, le bouillon blanc et le coquelicot ; la pensée
sauvage dont les fidèles adeptes de la médecine par les plantes, vous diront
qu’elle est dépurative, l’arnica souveraine pour les foulures et les coups,
l’anthyllis, infaillible pour les cicatrisations des plaies, et dont un
acheteur me disait avec autorité et compétence :
« C’est une plante médicinale dont on se sert en
médecine ».
C’est surtout la violette qui domine. Les herboristes en
emportent chaque année une tonne pour le moins.
Lorsque les fleurs ont été pesées, que le prix est débattu et
payé immédiatement, on vide les violettes dans des sacs énormes, qui sont
bientôt gonflés comme des ventres de Boudha. Car cinq kilos de fleurs séchées
remplissent un sac haut d’un mètre.
Cette
année, on a payé la violette jusqu’à 22 francs le kilo, contre 14 l’an dernier.
Les gelées tardives ont réduit la production des prairies. Et les cours s’en
sont ressentis.
D’autre
part, la levée des sanctions — qui l’eut cru — va multiplier les commandes.
On achète
aussi, en plus petite quantité, les champignons, et il n’y a pas longtemps, on
achetait aussi les cheveux de femme.
LA FOIRE AUX CHEVEUX
Avant la
guerre, et même après, la foire aux violettes, déjà si pittoresque, l’était plus
encore. Des coiffeurs d’Aubenas et du Puy venaient couper les cheveux des
femmes qu’ils emportaient pour la confection des postiches. Peu soucieuses
d’élégance capillaire, la tête toujours coiffée du bonnet rond qui emprisonne
la chevelure, les ardéchoises sacrifiaient leurs nattes d’un cœur léger. Avant
la guerre, une belle tignasse se payait jusqu’à 25 francs ; il y a encore
huit ans, on l’échangeait contre une robe.
Le long du
mur de l’église, le coiffeur opérait, coupant le plus court possible les cheveux
vendus. Ce devait être un spectacle bien curieux. On ne le voit plus
aujourd’hui, et les ardéchoises des hauts plateaux, dont c’était le destin d’être
en avance sur la mode, gardent leurs cheveux longs, qui n’ont plus cours, alors
que leurs mères les avaient coupés avant 1914.
Telle
qu’elle est encore, dépourvue de ce supplément de pittoresque, la foire aux
violettes de Sainte-Eulalie reste un spectacle bien attrayant.
Il faut
aller jusque là pour retrouver une population qui semble détachée de notre
mouvement, qui conserve son lent parler chantant, ses costumes et surtout sa
fidélité au labeur ingrat. Tâches de mesurer ce que représente une tonne de
violettes séchées ramassées une à une. C’est une belle démonstration de
patience. Il faut aller loin et haut pour trouver intacte cette vertu. Cela
vaut bien le voyage. »
C.L.
Des violettes... et à l'arrière plan, le suc de Montfol |
N°2
La Peste de 1720
Potion
contre la peste (Cros-de-Géorand)
Le
registre paroissial du Cros-de-Géorand, présente entre deux baptêmes de l’année
1720, une inattendue et bien curieuse recette rédigée par le curé Astier.
Notons toutefois, que jusqu’au XXe siècle, outre leurs fonctions sacerdotales, les curés ont pu exercer des fonctions de magistrat, de médecin et de pharmacien.
Prenes de la raclure de
corne de serf, quatre onces ; écorce de la racine de bardane, deux
onces ; bois écorce de guavac deux onces ; salceparelie deux
onces ; squina demy once ; sasafras deux dragmes. Faictes boulir le
tout dans quatre pintes d’eau de fontene, mezure de Paris, dans un vaissau bien
bouché, que lon reduira a trois pintes. Puis vous jetteres dans la liqueur quinquina
bien choisy, grosse et pulverizé : une once et demy de reglise raclée.
Vous remettres vostre vaissau sur le feu pour faire boulir le tout ensemble
trois a quatre bouilions. Sur chaque pinte de liqueur vous mettres deux onces
d’eau de vie, mais il ne faut la mettre quaprès quon aura passé la liqueur,
immédiatement avant d’avoyer le remède au malade.
Manifestement,
la potion ainsi obtenue est destinée à être administrée aux malades de la peste
qui vient de faire son apparition à Marseille, justement en 1720. Comment le
curé Astier en a-t-il eu connaissance ? Nous n’en savons rien ; cependant
une chose est certaine, son élaboration est complètement inaccessible aux
habitants du plateau tant les ingrédients qui la composent sont exotiques, la
plupart étant importés d’Amérique. L’abbé Astier disposait-il de tous ces
ingrédients ? Nous pouvons en douter…
Raclure
de corne de cerf :
La
raclure de corne de cerf est astringente. Anciennement employée comme fortifiant
et pour « dessécher les ulcères des intestins ».
Bardane :
La bardane est
une plante présente en Europe. Elle est connue pour ses propriétés
anti-inflammatoires. Réputée pour son action sur la peau, sa racine régule,
également, la sécrétion de sébum.
Guavac (gayac,
gaïac) :
Le gaïac est un bois très dur,
sa densité est l'une des plus fortes du monde (1,3), si bien qu'il coule. On
trouve ces essences dans les Amériques tropicales, notamment dans
les Antilles et au Venezuela. Il a été utilisé pour soigner la
vérole.
Salceparelie :
Une espèce de salsepareille est présente en Europe,
cependant d’autres espèces ont été importées d’Amérique du sud
au xvie – xviie siècles,
comme plantes médicinales.La Salsepareille a été
utilisée pour soigner les rhumatismes, les maladies de la peau, mais
aussi en cas de grippe. Seules ses racines sont utilisées.
Squina (quina, quinquina) :
Variété d'arbre originaire du Pérou et des pays voisins. L'écorce amère de cet arbre a des propriétés toniques et fébrifuges. La quinine a la propriété de couper la fièvre,
elle reste utilisée pour luter contre le paludisme.
Sasafras (sassafras) :
Arbre d’Asie et d’Amérique, il a été utilisé pour ses propriétés antiseptiques. De
ses racines, on extrait l’héliotropine.
Reglise
(réglisse) :
Plante originaire d’Europe et d’Asie. Sa racine formée de
rhizomes est récoltée depuis l’antiquité pour confectionner des remèdes pour la
bronchite et les maux de gorge.
Point de
départ de la peste de 1720-1722 et conséquences
Le
Grand-Saint-Antoine est jugé comme étant à l’origine de l’épidémie ;
provenant de Tripoli (Syrie) et de Chypre, il accoste à Marseille le 25 mai
1720. Comme cela se pratiquait habituellement pour tout navire provenant de ces
contrées, son équipage et sa cargaison d’étoffes auraient dû être mis en
quarantaine près d’une île déserte, après que le capitaine eut déclaré la mort
de huit membres de l’équipage au cours de la traversée de retour. Au lieu de
cela, probablement pour des raisons économiques, on se contente de faire
déposer les marchandises aux infirmeries (hangars et habitations pour les
passagers) au lieu de les conserver en cale jusqu’à ce qu’on soit assuré
qu’elles ne risquent pas de répandre la peste. Pendant ce temps quelques membres
d’équipage en quarantaine sur le bateau meurent sans que ces événements
alarment les intendants de santé ni les échevins de la ville, qui ont un
intérêt à ce que la cargaison soit négociée au plus tôt. L’équipage est libéré
après seulement 19 jours de quarantaine, sans que la peste soit diagnostiquée.
Elle le sera début juillet, mais c’est trop tard… Les tissus infectés de puces
porteuses du bacille mortel sont à Marseille, la maladie se propage dans la
ville et de là à toute la Provence ainsi qu’en Languedoc, Rouergue, Vivarais et
Gévaudan.
La peste de
1720-1722 fait 40 000 morts à Marseille, soit près de la moitié de sa population et 100 000 victimes
au total.
La peste de 1720 est la
dernière qui ait sévi en France.
Costume de médecin- Le vêtement était en
cuir, les yeux de la cagoule étaient en cristal, le nez contenait des herbes désinfectantes et odorantes
|
L’épidémie en Ardèche
Dans le registre paroissial conservé aux
archives de l’Ardèche, le curé de Sablières fait une description de la peste
qui sévit en 1721 :
«
la présente année 1721 la peste s'est déclarée dans le Gévaudan; la Canourgue
Marvejols, Mende et quelques villages circonvoisins en ont été extrêmement
affligés; et malheureusement ce mal s'est introduit dans le Vivarès par la
foire de St Bathélémy à St Giniès ou plus de la moitié des habitants de cette
paroisse sont morts de peste, Mr le curé a été du nombre n'ayant rien ménagé
pour secourir son pauvre peuple de cette triste conjoncture; cette paroisse a
demeuré bloquée par une ligne de troupes pendant six mois que le mal y a duré,
il faut croire que cette précaution jointe à la garde exacte qu'on a fait par
tout a préservé ce pays au moins jusqu'ici, à la réserve toutefois de Laurac et
des Chambons où sont morts presque tous les religieux. ce pays cy regardé comme
infecté est actuellement fermé par deux lignes de troupes du roy qu'il est défendu
de passer sous peine de la vie. Ces lignes sont de Pradelles à la rivière
d'Ardèche. Le commerce de ce pays ne s'étend pas au-delà, il n'en sort rien et
il n'y entre rien qu'à travers les barrières établies en divers endroits.
Jusqu'ici cette paroisse et les circonvoisines jouissent d'une santé parfaite,
le Seigneur nous donne le temps de suivre pénitence, d'implorer sa miséricorde
et de nous mettre dans de saintes dispositions pour pouvoir lui demander avec
confiance qu'il daigne nous préserver de ce fléau terrible de sa juste colère
».
Les communes
ardéchoises atteintes par le fléau sont : Borne (Les chambons), Saint-Genest-de-Beauzon,
Payzac, Lablachère, Les Assions, Laurac, Rosières. La peste y fit entre 300 et
400 morts. Saint-Genest-de-Bauzon paya le plus lourd tribu : 243 décès
soit la moitié de sa population.
Le plateau ardéchois ne
fut pas atteint par la peste de 1720.
Croix à bubons du Cros-de-Géorand |
Croix à bubons du Cros-de-Géorand
Les trois extrémités de la
croix présentent des excroissances arrondies symbolisant les bubons de
la peste.
Erigée en 1842 sous le ministère de l’abbé Ceysson, « confesseur de la foi
en 93 », elle était censée préserver les habitants du Cros contre ce fléau,
mais probablement aussi contre d’autres maladies. Elle a pu être érigée en
remerciement pour avoir empêché le choléra d’atteindre le Cros lors de
l’épidémie qui sévissait en France en 1832.
On peut imaginer les
malades venant prier pour leur guérison au pied de la croix, les mains posées sur
ses bubons.
Sources :
Docteur Cabanès, Moeurs
intimes du passé, Albin Michel,
JP Papon, Peste
de Marseille en 1720, Auguste Seguin-1820.
Alain MOLINIER, Une épidémie qui s’éteint en Vivarais
: La peste de 1721, Etudes Héraultaises. 1984.
AC 2020.
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N°1 : La foire aux violettes de Sainte-Eulalie
N°2 : La peste de 1720
N°2 : La peste de 1720
N°1 : La foire Grasse du Béage
N°1 : Carte communale
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