Alain
Charre
Avril 2020
L’enveloppe ne contenait rien d’autre que la convocation à une assemblée générale
extraordinaire. Simple oubli ? le formulaire de délégation de pouvoir
n’était pas joint au courrier. « Avenir
de l’espèce » : l’ordre du jour, laconique, ne manquait pas
d’interroger les académiciens.
Le secrétaire pris une trique et frappa
le pupitre à plusieurs reprises en exigeant le silence au sein de l’assemblée.
Les derniers murmures s’estompèrent,
alors la Doyenne ouvrit la séance d’une voix solennelle :
– Chers collègues, si vous êtes ici ce soir, c’est que la situation
est grave, l’avenir de notre espèce est en jeu… Le Président du Conseil m’a
transmis le dernier rapport de l’Institut de la statistique relatif à la démographie et
ses prévisions pour la décennie à venir sont alarmantes. En voici la conclusion :
« En absence de
toute mesure de protection, la population va continuer de s’effondrer, notre
espèce est en danger critique d’extinction. »
Bien sûr, dans l’immédiat, cette
information ne sera pas rendue publique ; le Président attend nos
propositions de solutions avant d’intervenir à la télévision.
Comme vous le savez, depuis des millions
d’années, notre espèce a dû faire face à toutes sortes de fléaux. Nous ne devons
notre survie qu’à la capacité d’évolution dont ont su faire preuve nos ancêtres.
Aujourd’hui, un nouveau défi se présente et nous sommes rassemblés dans cette
clairière pour tenter de trouver la solution qui nous sauvera… De notre réflexion
viendra le salut. Vous avez la parole.
Un long silence se fit,
l’assemblée des pangolins était glacée d’effroi.
On commença par évoquer les causes
de la baisse démographique. Les pangolins étaient victime de la chasse. Le sabétou
était son principal prédateur ; tout d’abord, il les tuait pour se
nourrir. En potage ou en ragoût, sa chair était jugée savoureuse. Un critique
gastronomique affirmait : « C’est braisés dans la sauce soja qu’ils ont le meilleur goût ! »
Par ailleurs, les pangolins étaient
chassés pour l’élaboration de divers remèdes. Les sabétous étaient persuadés
que ses écailles avaient des vertus curatives ; elles étaient supposées
augmenter la virilité, traiter les problèmes cardiaques, soulager les
rhumatismes… enfin, sa bile était sensée améliorer la vue.
Ceci exposé, les membres de l’Académie
pangoline formulèrent leurs premières propositions, afin tenter de mettre un
terme à cette malédiction.
– Il y a cinq
millions d’années, nous avons su nous couvrir d’écailles pour nous protéger des
prédateurs, évoluons une nouvelle fois, rendons notre chair infecte et les sabétous
nous laisseront tranquilles…
– Oui, mais ils sont
capables de nous chasser juste pour nos écailles ; ils pêchent bien les
requins pour leurs ailerons ; après mutilation, ils les rejettent à la mer
et les laissent à l’agonie ; il faut que nous nous débarrassions aussi de nos
écailles…
– Ça ne résoudra pas
le problème, quand ils ont une idée en tête rien ne leur résiste, ils sont
capables de nous transformer en aliment pour animaux… Et de toute façon, une
évolution darwinienne prendrait trop de temps, nous sommes dans l’urgence…
Les propositions fusaient de
toutes parts, même les plus loufoques :
– Munissons-nous du
système de neutralisation des billets de banque des sabétous ; en cas de
capture nous pourrions disposer d’une ampoule qui se romprait automatiquement
et nous aspergerait d’encre empoisonnée…
– Un peu compliqué à
mettre en œuvre et je n’ai pas envie de me transformer en schtroumpf accidentellement !
…
Il se faisait tard, la Doyenne
proposa de reprendre la séance le lendemain, tout en suggérant aux sociétaires
de réfléchir à de nouvelles propositions.
À la reprise de séance, un
académicien, du nom de Mac Lavel, prit la parole :
– Chers collègues, je
sais que ma proposition va heurter votre philosophie animaliste, mais compte
tenu de l’urgence de la situation, je propose que nous propagions un virus chez
nos prédateurs, suffisamment agressif pour les dissuader de nous approcher à
l’avenir. Nous en avons conservé au Musée des sciences, qui pourraient avoir
des effets chez les sabétous. Quand ils s’apercevront que nous en sommes
porteurs, nous serons tranquilles pour un moment et nous aurons un peu de temps
pour préparer des moyens de protection
de long terme.
La proposition entraîna un flot de
réactions :
- Il n’est pas
animal de transmettre sciemment une maladie à un être vivant !
– Qu’est ce que tu
proposes, tu préfères te faire découper l’écaille ? Nous avons été tolérants
jusqu’ici, le résultat est que nous sommes au bord de l’extinction ; ils
nous prélèvent de plus en plus jeunes, avant même que nous ayons eu le temps de
nous reproduire…
– Notre morale n’est
pas absolue, notre nourriture se compose bien d’êtres vivants, de fourmis, de
termites… même si nous ne prélevons que ce qui est indispensable pour vivre…
– Le pangolin a
toujours été pacifiste et paisible, cette action serait contre nature…
– Faut-il être
pacifiste au point d’accepter notre génocide sans combattre ?
– Et la morale des sabétous,
parlons-en… tel Midas, ils courent après tout ce qui brille, se souciant peu de
la survie des espèces, y compris de la leur… Elle est où
leur morale ? Ils ne cessent de s’entretuer. Il y a 2000 ans, un de leurs guides
spirituels s’est sacrifié pour leur montrer la voie de la sagesse et que
s’est-il passé ? Ils sont allés jusqu’à commettre les pires crimes en son
nom ; ils ont exterminé les Parfaits cathares, pourtant non-violents,
allant jusqu'à déclarer Saint l’ordonnateur de l’holocauste de Montségur…
A l’issue du débat sur l’éthique,
qui dura plusieurs heures, l’Académie pangoline valida la proposition Mac Lavel
et désigna cinq de ses membres pour en élaborer les modalités pratiques.
Les membres désignés par l’Académie
pour piloter la diffusion du virus sélectionnèrent le VXL1, dont la virulence
était modérée pour l’espèce sabétoune. Ils renoncèrent à en propager un de la
série VXXL, la plus dangereuse, celle qui au dire de certains universitaires,
aurait été la cause de la disparition de Néandertal.
Le mode de transmission du virus aux
sabétous fut l’objet d’un long débat :
– Surtout, il faut
que les sabétous s’imaginent que nous sommes à l’origine de la propagation du
virus…
– Infectons un
négociant de pangolins, un jour de marché…
– Ma femme est
cobaye dans un labo de recherche pour cosmétiques, elle pourrait introduire le
virus dans la crème anti-âge
– Non… si une
bourgeoise attrape le VXL1, personne n’imaginera qu’elle a été contaminée par
un pangolin ! Il vaudrait mieux que ta femme contamine un expérimentateur
qui travaille sur elle…
– Le labo P4 fait
aussi des expériences sur des pangolins, on pourrait infecter un chercheur…
– Oui, mais nous ne pourrons
jamais accéder là-dedans, c’est Alcatraz !
– Alors, profitons
des fêtes du nouvel an pour nous déguiser en dragon et contaminer un chercheur
de P4 qui assiste au défilé…
– …
Enfin, les cinq se rendirent au
laboratoire de l’Académie des sciences, où le virus était conservé à très basse
température, afin d’en prélever quelques ampoules.
– N’i a pas pro,
prends-en mieux ! Insista un pangolin originaire du plateau ardéchois, qui
trouvait que les charges virales prélevées étaient insuffisantes…
Comme prévu, deux chercheurs sabétous
et un négociant de pangolins furent contaminés dans la ville voisine de Vuran.
Sans attendre les premiers
résultats, le Président du Conseil intervint à la télévision pour annoncer les
décisions prises au sommet de l’Etat. « - Nous sommes en guerre… », ses premières paroles stupéfièrent
la population. ..Statistiques et graphiques à l’appui, ponctuant son discours
de « nous sommes en guerre »,
il s’efforça de convaincre les pangolins que des mesures drastiques devenaient absolument
nécessaires. D’un autre côté, afin de ne pas heurter le sens moral de ces braves
bêtes, il ne s’étendit pas sur la stratégie qui avait été décidée pour lutter
contre la malédiction, il évoqua, diplomatiquement, l’utilisation de « répulsif ».
En conclusion, il demanda à la population de se terrer dans les cavernes,
jusqu’à ce que le plan d’action montre ses premiers effets. Il prévoyait une
forte baisse de l’activité des prédateurs dans les semaines à venir et envisageait
la fin du confinement pour les pangolinades du nouvel an.
Dès lors, les académiciens
suivirent attentivement la réaction des sabétous. Le plan semblait fonctionner comme
prévu. Dans un premier temps, ces derniers attribuèrent la pandémie à un virus
transmis par les pangolins.
Alors qu’ils étaient si prompts à se déplacer d’un
continent à un autre, les sabétous fermèrent subitement les frontières de leur
pays, comme les moules s’encapsulent dans leur coquille. La suite fut plus
confuse, certains se confinèrent dans leurs chaumières, d’autres non ;
certains se protégeaient avec des masques, d’autres affirmaient qu’ils ne
servaient à rien ; certains pratiquaient le dépistage à outrance, d’autres
le négligeaient. Même les scientifiques se contredisaient : un affirmait
que la maladie ne dépasserait pas le stade de la « grippette »,
l’autre que le virus avait très peu de chance de franchir la frontière ;
un autre encore alertait, en affirmant que les hôpitaux allaient être débordés…
Le fait est que la pandémie
progressa et leur donna bien des tourments. En absence de vaccin et de
traitement efficace incontesté, une nouvelle controverse vit le jour. Ceci à
propos d’un protocole de soins, mis en œuvre par un professeur à blouse blanche.
Assis au comptoir des plateaux de télévision, docteurs, éditorialistes,
politiques et journalistes en costume, lui tombèrent sur le paletot :
– Ses essais
cliniques ne respectent pas les procédures officielles… Il faut le suspendre de
l’ordre des médecins !
– Y- en a marre des
gens comme lui... qu’il ferme sa gueule !
– C’est un
anticonformiste de l’établissement un peu déséquilibré psychiquement…
Quelle ne fut pas la surprise des
pangolins en découvrant les propos de la crème des sabétous : Un professeur de médecine
et un chercheur proposèrent de tester le vaccin du BCG sur les africains ;
un dirigeant suggéra de traiter les malades par injection de
désinfectant ; un Prix Nobel de médecine, affirma que le corona avait été
créé dans un laboratoire avec de l’ADN de VIH ; un dirigeant,
qualifiant le virus de « chinois » semblait abonder dans ce sens, un
autre déclara : "… et même il y a manifestement des choses qui se
sont passées qu'on ne sait pas".
Toutes ces réactions
alarmèrent l’Académie pangoline, qui en conclut que les sabétous étaient une
espèce encore plus inquiétante qu’ils ne l’avaient imaginé. Les affirmations relatives
à la création du virus au laboratoire P4 de Vuran ne manquèrent pas de les tourmenter, car elles risquaient
de ruiner leur stratégie.
Bref, la cacophonie était à son
comble. En fait, les sabétous découvraient peu à peu que leurs bombes atomiques
ne pouvaient rien face à un modeste virus d’un dixième de micron.
***
Les pangolins reprenaient goût à
la vie ; restés confinés trop longtemps dans leur tanière, ils
s’empressaient de rendre visite à leurs parents, à leurs amis, tout heureux de
pouvoir se déplacer sans la crainte de se faire capturer par les sabétous. Enfin,
la menace était temporairement écartée. Les pangolinades de fin d’année
pourraient se dérouler à loisir. La jeunesse, en liesse, envahissait les sentiers
forestiers à la recherche d’une taverne. Pour en trouver une, rien de plus
simple, il suffisait de se laisser guider par le son des mélodies. Une
multitude de groupes de musiciens jouant de la mangoline -sorte de xylophone à
écailles- interprétaient les chansons du répertoire traditionnel. Devant
l’affluence, les patrons de bistro avaient installés des tables et des chaises
longues aux terrasses, ainsi les pangolins pouvaient s’allonger sur le dos tout
à leur aise, même en plein jour. Trois étudiants, éloignés de l’université
depuis plusieurs mois, fêtaient leurs retrouvailles :
– Tavernier ? Une pression, et deux diabolos menthe,
s'il vous plait !
Une jeunette pangoline,
vêtue de court, s’avança pour servir les boissons,
– Il est
giron ce petit sommelier ! fit l’un,
– Ouaaah, pendant
le confinement, elle a dû se faire bronzer aux UV…
– Et
complètement à écaille, en plus !
– Elle
est bonne, elle est bonne…
– A propos de bonne… je suis sûr que cette bonne s’occupe aussi des
courses…
– Ah, ah !
– Ah, ah !
Insouciance de la
jeunesse…
Les plaisanteries allaient
bon train ; on évoquait les lectures du temps du confinement ; l’ouvrage
de Pierre Desproges, celui qui ridiculise le pangolin en le comparant à un artichaut à l’envers, les
fit beaucoup rire.
La vie sociale
reprenait ; pour autant, les pangolins n’étaient pas tirés d’affaire. Les
dirigeants savaient que les chasseurs s’étaient abstenus depuis quelques mois, cependant,
il convenait de rester vigilant et de préparer de nouvelles parades au cas où
les sabétous feraient à nouveau irruption.
Le gouvernement du
Pangolistan mit en place un service de guet, afin de sonner l’alerte en cas
d’introduction d’un prédateur sur le territoire. Des miradors furent construits
dans les arbres et les couples de pangolins devaient s’y installer à tour de
rôle pour y monter la garde. Chaque binôme était invité à emporter ses
provisions pour y passer la semaine, durée de la vacation. Même si male et
femelle se relayaient, l’observation aux jumelles, des heures durant, finissait
par donner mal au crâne. Les miradors étaient exigus et d’un confort spartiate,
la lecture constituait la seule possibilité de détente. Quelques livres
garnissaient la minuscule bibliothèque située à portée du hamac ; parmi
eux, deux ouvrages traduits du sabétou : La Vachère et La Citée des fous.
Toutes ces contraintes
faisaient, que parfois, les nerfs lâchaient et on a pu assister à de véritables
scènes de ménage pour de simples broutilles.
Line était en faction
quand son compagnon, Pango, commença son repas :
- Line,
où as-tu mis le sel ?
- Je
sais pas moi, j’en prends jamais, t’as qu’à le chercher…
- J’ai
tout retourné, je ne vois rien…
Line, agacée,
interrompit son observation et se rendit près de la glacière en disant :
- Toi,
tu ne trouves jamais rien !
Confuse, Line dut se
rendre à l’évidence, elle avait oublié le sel…
-
Bah ! J’ai dû le laisser au terrier…
- Des
fourmis, des fourmis, toujours des fourmis, y-en à mare ! Et sans sel en
plus…
-
Ecoute, Pango, si la semaine dernière, au lieu de glander devant la télé tu
étais allé à la chasse aux termites, on aurait un régime un peu plus varié…
- Tu
commences à me casser l’écaille, j’ai bien le droit de me distraire un
peu !
Line, compris que la situation
commençait à partir en vrille, son bon sens pangolin lui commanda de calmer le
jeu. Elle présenta ses excuses à Pango, puis, encore toute déboussolée par cette
regrettable altercation, elle murmura, comme pour elle-même :
"Mais où sont passées les jumelles ?" »
FIN
AC
Avril
2020
Pendant
le confinement…
L'Arbre
vagabond lance un concours de nouvelles. Si cette idée vous tente, la première
phrase de votre nouvelle doit être : L'enveloppe ne contenait rien d'autre.
Quelque part, dans le cours du texte, on doit trouver : "Une pression, et
deux diabolos menthe, s'il vous plait !" Enfin la dernière phrase de votre
nouvelle doit être : Elle murmura, comme pour elle-même : "Mais où sont
passées les jumelles ?"
Bar
à vin et table gourmande, 43400 Le Chambon-sur-Lignon.
Du même auteur
Aimé Grasset – Pionnier de l’aviation. Du mont Mézenc aux monts de Bohême, auto-édition, 2017.
Trois Dewoitine dans le ciel du Béage 19 juin 1940, auto-édition, 2018.
La Vachèira, édition en occitan, Nombre7 Editions, 2020.
La Vachère, édition en français, Nombre7 Editions, 2020.
N°1 : La foire aux violettes de Sainte-Eulalie
N°2 : La peste de 1720
N°2 : La peste de 1720
N°1 : La foire Grasse du Béage
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vous pouvez laisser un commentaire ici :